dimanche 22 juin 2008

Réalité et Art

Avertissement :

Pour commencer mon exposé, je dois avouer un léger blocage personnel vis-à-vis du thème choisi : la Réalité.

Douter de la Réalité, de la matérialité des choses qui m’entourent est un exercice auquel j’ai le plus grand mal à me soumettre. Est-ce que cette chaise existe toujours si personne n’est là pour la regarder ? Est-ce que ce que nous pensons être notre Réalité n’est que manipulation, tromperie des sens ordonnée par un grand architecte manitou à la Matrix ? Je ne suis pas très stimulée par ce genre de questions que je trouve un peu vaines. Alors ne m’en veuillez pas si j’évacue malgré moi quelques problèmes essentiels.

Introduction

L’artiste est souvent perçu à travers un stéréotype : c’est un homme « aux semelles de vent », pas vraiment de ce monde concret, quelqu’un en somme qui n’a pas « le sens des réalités ». L’exposé de Simon nous a permis de percevoir une toute autre dimension de l’art, une toute autre dimension du métier d’artiste. Il a expliqué que le documentariste donnait à voir, filmée et montée, une image travaillée de sa perception de la Réalité.

Nous avons tous une perception différente intérieure et incommunicable de la Réalité qui nous entoure. Nous ne pouvons tous connaître la Réalité qu’à travers une perception unique : la nôtre. Une des fonctions essentielles de l’art, de l’artiste serait donc de nous donner à voir, à entendre une autre perception de la Réalité. Sans cela, nous serions à jamais enfermés dans notre perception. L’art et l’artiste ne seraient donc pas du côté du spirituel, de l’immatériel, mais au contraire des révélateurs de Réalité, le seul moyen de sortir de nous-même.

I) Communiquer une Réalité par l’art. Kant et Schopenhauer

Kant révolutionna la philosophie en affirmant que nous constituons et reconstituons la Réalité plus que nous la percevons. Nos données sensorielles sont filtrées par notre appareil nerveux avant d’être réassemblées et de nous donner une image que nous appelons Réalité, mais qui n’est en fait qu’une chimère, une fiction crée par notre esprit amoureux de concepts et de catégories. La Réalité est moulinée par le moule de notre esprit, qui impose ses propres catégories à la Nature. Aux mêmes causes les mêmes effets, les enchaînements logiques, la quantité, l’espace et le temps sont des conceptualisations, des constructions mentales, et non des entités « données » telles quelles dans la nature.

Le problème est que nous ne pouvons pas « voir » au-delà de notre version transformée de la Réalité. Nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui s’y trouve « réellement », c’est-à-dire la chose qui existe avant que ne se mette en route notre travail perceptif et intellectuel. Cette chose première que Kant appelle « la chose en soi » nous restera toujours inconnue et inconnaissable.

Schopenhauer le pense aussi mais pour lui nous pouvons nous en approcher plus que Kant ne le croyait. Pour Schopenhauer, Kant a oublié une mine d’informations essentielles et disponibles sur le monde perceptible dont nous disposons tous : notre propre corps ! Nos corps sont, en effet, des objets matériels qui existent dans le corps et l’espace. Chacun de nous dispose d’une connaissance riche de son propre corps : non pas une connaissance moulée, modifiée par notre appareil perceptif et intellectuel. Mais une connaissance directe, provenant de l’intérieur, issue de directement de nos sensations.

Mais la connaissance que nous tirons de notre corps ne peut être conceptualisée ou communiquée. Pourquoi ? Parce que la majeure partie de notre vie intérieure nous demeure inconnue. Nous la réprimons, nous l’empêchons d’arriver à la conscience car connaître notre nature profonde (cruauté, peur, envie, désir sexuel, agressivité) serait insupportable.

Comment dès lors communiquer aux autres notre perception propre de la Réalité, notre Réalité intérieure, nos forces inconscientes ? Cette perception de la Réalité ne peut être conceptualisée, mais elle peut être vécue, éprouvée, et surtout transmise directement, sans passer par les mots, par l’art.

L’art est donc la seule façon que nous ayons de connaître la perception de la Réalité d’autres que nous, de sortir de nos propres perceptions.

II) l’Art ouvre à d’autres champs de Réalité

L’artiste devient donc, celui qui en organisant, en mettant en scène, en filmant, en sonorisant sa perception de la Réalité, nous permet de connaître une autre perception, de ne pas rester enfermés dans les nôtres, de pouvoir communiquer notre Réalité aux autres.

Pour pouvoir nous faire partager leurs perceptions de la Réalité, les artistes n’ont pas besoin d’être « réalistes » (cf. Rosa bonheur, « Le labourage nivernais »). C’est, au contraire, en voulant approcher le plus possible la Réalité, la donner dans toutes ses dimensions, sa profondeur, sa complexité, qu’est apparue l’abstraction.

a) Les scruteurs de Réalité.

  • Le cubisme se caractérise par une envie d’entrer dans la Réalité de l’objet, par une envie de pénétrer l’inconnaissable « chose en soi » de Kant. Les repères spatiaux habituels de notre esprit sont anéantis (et par là même ils sont mis au jour). Picasso (cf. « la nature morte à la chaise canée ») veut nous faire appréhender la Réalité de l’objet dans tous les sens, par toutes les faces. Picasso nous permet de ne plus jamais voir une chaise de la même manière.
  • Mondrian a peint plusieurs fois le même arbre, pendant plusieurs années. Il s’en est approché de plus en plus, il a voulu en retirer la quintessence, la structure essentielle, sa Réalité d’arbre en concentré. L’arbre s’est épuré de plus en plus sur la toile au fil des années jusqu’à n’être plus que lignes horizontales et verticales.

b) Les scruteurs de sentiments

Schopenhauer affirme que l’Art nous permet de communiquer nos Réalités intérieures, de percevoir la Réalité d’un autre. Sans les artistes nous n’aurions que la perception de la Réalité qui nous remue personnellement, qui nous bouleverse sans que nous puissions la mettre en mots. Certains artistes tentent de nous communiquer la Réalité brute de leurs émotions, ils traduisent plastiquement une Réalité inatteignable par le langage.

  • Pollock

Pollock essaie de traduire la Réalité de son état, de ses sentiments, de ses sensations au moment de peindre. Il tente de trouver des procédés techniques pour faire entrevoir sa violence, sa colère intérieure. Il invente une technique : le dripping. Il s’agit de tendre la toile sur le sol et de renverser des seaux de peinture ou de faire couler en goutte à goutte.

  • la spiritualité

Klein nous fait percevoir l’intimité de la foi, la sérénité du sentiment religieux, à travers ses toiles on entre dans la Réalité de la foi intérieure d’un homme. Comment percevoir la Réalité de la foi si l’on est athée ? En plongeant dans le bleu inventé par Klein, au plus proche des bleus lapis-lazuli des icônes orthodoxes. L’œuvre d’art est conçue comme une interface entre monde visible et invisible.

Conclusion

L’Art se présente comme une des seules manières de dépasser sa propre perception de la Réalité et d’entrer dans la perception d’un autre. L’Art jette des ponts entre nous, nous permet de communiquer, il nous permet également de sublimer nos Réalités intérieures, nos violences, nos désirs, intraduisibles en mots, de leur donner une échappatoire.

Bien sûr, on n’entre jamais directement dans la perception de l’autre. L’artiste organise sa perception sur la toile, la traduit en musique, la met en scène, la filme. Il y a toujours une médiation. C’est l’œuvre d’art. Elle n’est pas directement la perception de l’artiste, mais nous la donne à voir et nous interroge parallèlement sur nos propres perceptions.

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